La danse des voitures le maintenait concentré, la basse rebondissant dans l'habitacle, son regard passant d'un miroir à l'autre, du rétroviseur au pare-brise. C'est ainsi qu'il réagit instantanément quand cela arriva.
Les voitures devant lui ralentirent. Le camion qui arrivait derrière lui, lui, ne ralentit pas.
Il n'eut qu'une fraction de seconde pour agir. Avec la clarté soudaine que procure l'explosion d'adrénaline, Joey parvint à glisser sa Yaris sur la voie de droite, juste au moment où le camion percutait la mini-fourgonnette bleu foncé qui le précédait.
Le pick-up brun souleva la mini-fourgonnette, l'envoyant s'écraser contre le garde-corps avant de la projeter au-delà. Joey donna un brusque coup de volant et s'immobilisa sur la bande d'arrêt d'urgence à gauche, tandis que la mini-fourgonnette traversait les voies opposées. Elle heurta une dernière voiture sur le côté du conducteur avant de basculer au-delà du terre-plein, roulant sur un remblai.
Il ne réfléchit pas. Il n'attendit pas que son cœur cesse de marteler jusque dans sa boîte crânienne. Il laissa l'adrénaline prendre le dessus et bascula immédiatement en mode sauvetage.
Déjà en train de courir vers l'accident, Joey attrapa son téléphone et composa le 911. Le conducteur du pick-up semblait conscient et d'autres personnes s'étaient arrêtées. Mais Joey savait qu'il avait aperçu un enfant dans un siège auto à l'arrière de la mini-fourgonnette. Il devait y arriver. Maintenant.
Il débita les informations au répartiteur :
- Triple accident sur l'I-10.
Il savait même où ils se trouvaient, car il avait repéré la sortie en essayant de rattraper son retard.
- Je ne sais pas combien de blessés. Mais il y a un enfant impliqué.
Quand il atteignit la mini-fourgonnette, celle-ci reposait à nouveau sur ses roues. Le pare-brise avait disparu, la vitre du conducteur aussi, et l'avant comme l'arrière du véhicule étaient froissés comme du papier. La porte du conducteur refusait de s'ouvrir et les airbags rideaux latéraux obstruaient sa vue. Il dut se pencher par la fenêtre.
L'enfant avait deux ou trois ans à peine. Il ne pleurait pas. Il émettait juste de petits sons sifflants et irréguliers. La femme - sa mère ? - était en mauvais état. Inconsciente, inerte. Mais elle avait un pouls et respirait, ce que Joey signala au répartiteur tout en vérifiant son état.
- Hé, petit mec, comment tu te sens ?
L'enfant prit une inspiration tremblante.
- Maman ?
- Maman va aller bien.
- Maman ? La voix de l'enfant se fit plus aiguë.
- Écoute, mec, maman dort parce qu'elle ne se sent pas très bien en ce moment. On ne va pas faire trop de bruit, d'accord ?
Le garçon s'interrompit aussitôt, réfléchissant.
- Oh... D'accord. Comme quand elle a mal à la tête ?
- Exactement.
Joey espérait ne pas trop lui mentir. Une partie du tableau de bord avait écrasé sa jambe droite. Quant à la gauche, une énorme entaille dans son jean laissait échapper du sang. Pas une hémorragie artérielle, il en était presque sûr. Les vidéos de secourisme qu'il avait regardées étaient très claires sur ce point.
Sans quitter l'enfant des yeux, il tendit la main vers la console centrale et attrapa une poignée de serviettes en papier. Il les pressa contre la plaie pour arrêter l'hémorragie.
Le téléphone glissa de son épaule. Il prévint le répartiteur, veillant à ne pas trop parler du sang devant l'enfant :
- J'applique une pression, mais sous cet angle, je vais finir par laisser tomber mon téléphone.
Il tourna la tête et croisa le regard de l'enfant. Le gamin était beaucoup plus calme que lui.
Puis, un sourire éclaira son petit visage.
- Barbe à papa jaune.
- Quoi ?
- Tes cheveux. On dirait de la barbe à papa jaune.
Joey eut un rire nerveux. Le gosse n'avait pas tort. Depuis qu'il avait changé de boulot et de ville, il avait tenté de se débarrasser du violet. Il aurait dû tout couper, mais il s'était retrouvé avec une tignasse jaune mousseuse. Du bleu ou du rose aurait été bien plus fun.
- Et tu crois que ça a quel goût ? demanda Joey.
L'enfant gloussa.
- Beurk. Comme des cheveux.
Puis, plus inquiet :
- Est-ce que la voiture va bien ?
Il jeta un regard au véhicule, ou plutôt à ce qu'il en restait.
- Ça va aller. Ne t'inquiète pas. Comment tu t'appelles, mec ?
- Seth.
Bien sûr, ça sonnait plutôt comme « Sef ». Joey savait reconnaître un zézaiement quand il en entendait un.
- Où est-ce que vous alliez ?
- Chez Gramma.
- Tu connais le vrai nom de Gramma ?
Seth réfléchit un instant, puis secoua la tête.
- Juste Gramma.
- D'accord. Et toi, tu connais ton nom entier ?
- Seth Nathan Thatcher.
« Sef Nafan Fatcher ». Cruel. Avec un nom pareil, il allait devoir faire de l'orthophonie toute sa vie.
- Et tu as quel âge, Seth Nathan Thatcher ?
- Trois !
Joey s'en serait douté.
- Tu connais le prénom de maman ?
Le garçon fronça les sourcils. Pas une égratignure sur lui. Dieu merci pour les sièges auto et les airbags latéraux.
- Emily. C'est comme ça que Gramma l'appelle.
- D'accord.
Joey n'avait jamais été aussi heureux d'entendre des sirènes. Il sentait le sang tremper sa main, même en appliquant une pression plus forte.
- Alors, Seth...
- Je veux être « mec » encore.
Joey sourit.
- OK, mec. Tu es prêt à rencontrer des pompiers et des policiers ?