- Alors tu n'as qu'une seule chance, Ella. Une seule.
- Je sais. Et je veux la saisir. Mais cette fois, pas question de faire confiance à un homme. J'aurai cet enfant seule. Et je veux le meilleur donneur possible.
Cora essuie mes joues d'un revers de main.
- Ne t'inquiète pas. Ici, on ne travaille qu'avec des profils triés sur le volet : chercheurs, athlètes, acteurs... la crème de la crème.
Elle baisse la voix et jette un œil vers la porte.
- Entre nous... même Dominic Sinclair a laissé des échantillons ici.
Je cligne des yeux.
- Le milliardaire ?
- Lui-même. Apparemment, il a eu quelques soucis de fertilité et ne fait confiance à aucun autre laboratoire. Mais chut, c'est top secret.
Je reste bouche bée. J'ai croisé Dominic Sinclair plusieurs fois, sans jamais lui adresser la parole. Il est intimidant, toujours accompagné de gardes du corps. Et il a cette aura... inquiétante.
- Promets-moi de ne rien dire à personne, insiste Cora.
- Évidemment.
Elle soupire, rassurée, puis me tend un classeur.
- Parcours les profils et choisis celui qui te plaît. On fera le reste.
Je passe en revue les dossiers un à un, le cœur battant, jusqu'à tomber sur la photo d'un chirurgien au regard doux. C'est lui. Mon instinct me le dit.
Cora s'occupe des préparatifs. Quand elle revient, son visage est un peu fermé, mais elle garde son ton professionnel.
- Prête ?
Je hoche la tête. La procédure est rapide, indolore. Cora me serre la main pendant qu'elle termine.
- Voilà. C'est fait. Reviens dans dix jours pour le test.
Dix jours.
Je quitte le laboratoire avec la sensation étrange d'avoir changé de vie sans m'en rendre compte. Si j'avais su qu'au bout de ces dix jours, mon destin serait lié à celui de Dominic Sinclair, j'aurais peut-être hésité avant de franchir cette porte.
Ella
Six jours.
C'est tout ce qu'il reste avant de savoir si ma vie va enfin changer.
Six petits jours avant de découvrir si je porte en moi le bébé que j'attends depuis si longtemps... ou si je dois tourner la page sur ce rêve. Depuis l'insémination que Cora a pratiquée la semaine dernière, mes pensées tournent en boucle autour de cette seule idée. Impossible de penser à autre chose, encore moins à Mike ou à sa trahison. Tout cela semble désormais loin, comme un mauvais rêve.
Je m'accroche à cet espoir. J'imagine ce petit être à venir, son visage, sa voix, et malgré moi, je souris. J'ai retrouvé une légèreté que je croyais perdue. Le matin, en me préparant, je me surprends à chantonner.
En arrivant dans le quartier chic de Moon Valley, la neige craque sous mes bottes. C'est l'endroit le plus huppé du pays, et sans doute du monde. Les maisons sont si grandes qu'on pourrait s'y perdre. À peine ai-je franchi le portail de la propriété où je travaille que deux cris joyeux retentissent.
- Ella !
Jake et Millie me foncent dessus comme deux tornades. Le garçon, six ans, m'enlace la taille pendant que la petite s'accroche à mes jambes.
- Bonjour, mes amours ! dis-je en les serrant contre moi. Prêts pour le musée ?
- Oui !
Sans attendre, ils se précipitent vers la sortie, oubliant manteaux et écharpes. Il me faut quelques minutes pour les ramener et les emmitoufler comme il se doit avant de partir.
Dans la rue, Jake court devant, impatient d'arriver au musée des sciences. Millie, elle, traîne un peu. Ses petites jambes peinent à suivre. Je ris, la soulève et la cale sur ma hanche.
- Tu deviens lourde, toi !
- Non, c'est toi qui es trop petite, me réplique-t-elle avec un sourire malin.
Je ris à son audace. Elle a raison : je n'ai jamais été bien costaud. Mon mètre soixante-quinze est plus fait pour la grâce que pour la force.
Quand je relève la tête, je vois Jake arrêté quelques mètres plus loin. Mon sourire s'efface. Devant nous, au bord du trottoir, se dresse Dominic Sinclair.
Il est exactement comme dans mes souvenirs : immense, droit comme une statue, vêtu d'un long manteau sombre. Ses yeux verts accrochent les miens avec une intensité qui me fige sur place. Même au milieu de la rue, il dégage une autorité presque palpable, comme s'il dominait l'air autour de lui.
Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme lui. Il est à la fois fascinant et effrayant. Peut-être est-ce sa taille – il me dépasse d'une bonne tête – ou cette prestance presque animale, mais tout en lui inspire la puissance brute.
Je respire profondément et avance vers lui. Millie se redresse dans mes bras et lui adresse un petit signe timide. Dominic lui répond par un sourire chaleureux qui adoucit aussitôt ses traits. Ce contraste me désarme.
Jake s'approche à son tour, tout excité.
- Regarde, monsieur Sinclair ! Mon avion peut voler super loin !
Il sort une minuscule maquette de sa poche, la lance avec énergie... et l'avion s'écrase au beau milieu de la route.
- Jake, non ! reste ici !
Mais le garçon n'écoute pas. Il s'élance, sans regarder. Mon cœur se serre, mes jambes refusent d'obéir.
Tout se passe en une fraction de seconde. Une ombre floue passe devant moi. Dominic bondit, traverse la rue à une vitesse irréelle, attrape Jake juste avant qu'une voiture ne les percute. Les pneus crissent, l'air se remplit d'un bruit assourdissant.
Puis le silence.
Dominic ramène Jake sain et sauf, le pose à côté de moi et se redresse, le regard sévère.
- Tu aurais pu te faire très mal, petit homme, dit-il d'une voix calme mais ferme. Il ne faut jamais courir sur la route sans regarder des deux côtés.
Jake baisse la tête.
- Je suis désolé... je voulais pas que mon avion soit écrasé.
- Un jouet, ça se remplace. Pas toi, répond Dominic. Et tu as fait une belle frayeur à ta nounou.
- Pardon, Ella, murmure Jake, les yeux pleins de larmes.
- Ce n'est rien, mon cœur. Mais promets-moi de ne plus recommencer.
Je le serre fort contre moi, encore tremblante. Puis je me tourne vers Dominic.
- Je ne sais pas comment vous avez fait... On aurait dit que le temps s'était arrêté. Merci. Vraiment.
Un sourire imperceptible étire ses lèvres.
- C'était juste un réflexe. L'adrénaline, sans doute.
Il tapote doucement la tête de Millie.
- Faites attention à vous, les enfants.
Et avant que je puisse ajouter quoi que ce soit, il s'éloigne d'un pas tranquille, comme si de rien n'était.